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Entretien avec M. Pietro Sicuro, Ambassadeur, Représentant permanent de l'OIF auprès de l'UE.

Bruges, le 17 octobre 2012. De gauche à droite : S.E. Monsieur l’Ambassadeur Pietro Sicuro,

Bruges, le 17 octobre 2012. De gauche à droite : S.E. Monsieur l’Ambassadeur Pietro Sicuro, Recteur Paul Demaret, Monsieur Stéphane Lopez. © Collège d’Europe

Une langue est d'autant plus apprise qu'elle donne accès à des contenus pertinents, offre des opportunités de savoir et de devenir, sert à défendre efficacement des intérêts et à porter des valeurs. À charge pour le français de continuer à séduire par la pertinence et l'impertinence de ses contenus et de ses locuteurs.

Le Service de Développement du Collège d’Europe coopère régulièrement avec l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) dans le cadre du programme « Le français dans la diplomatie et la fonction publique ». Chaque année, un certain nombre de formations professionnelles sont ainsi conçues, en français, sur une thématique européenne. Plus récemment, nous avons rencontré S.E. M. Pietro Sicuro, Ambassadeur, Représentant permanent de l'OIF auprès de l'Union européenne à Bruxelles.

Monsieur l’Ambassadeur, vous avez récemment pris vos nouvelles fonctions : quelles sont vos missions en tant que Représentant permanent de l’OIF à Bruxelles ?

Le Représentant permanent de l'OIF auprès de l'Union européenne se doit d'être à l’écoute de l’évolution des débats communautaires au Parlement, au Conseil, à la Commission, dans les cercles de réflexion, de manière à ce que la Francophonie multilatérale soit précisément informée de l'état de ces débats et plus largement de la Construction européenne. Simultanément, il représente l’OIF auprès des Institutions et des partenaires, qui œuvrent à Bruxelles. Il suit aussi les travaux de la Cour pénale internationale (CPI), dont le siège est à La Haye et collabore avec le Secrétariat des pays d’Afrique, des Caraïbes, et du Pacifique (ACP), partenaire crucial de la Commission européenne pour l'aide au développement. Il propose une lecture de la situation et des notes stratégiques pour l'ensemble de la coopération et de l'action de ces Institutions.

Dans quelle mesure l’OIF, et votre bureau plus particulièrement, coopère-t-elle avec les institutions de l’Union européenne ?

Le Bureau est l’interlocuteur principal des Institutions européennes pour le compte de l’OIF. Il coopère de manière importante avec le Parlement européen, avec la Direction du développement de la Commission et avec les deux services d’Interprétation, des conférences et de la traduction du Parlement et de la Commission, sans exclusion des autres structures. Cette année, il a contribué à faire attribuer un budget de deux fois 12 millions d’euros, dans le cadre du Fond européen de développement (FED), au bénéfice de certains de nos pays, pour le renforcement des compétences des enseignants de français des écoles (projet IFADEM) et des experts en négociations commerciales à l’OMC (projet « Hub and spoke »).

Quelles sont les priorités de la Représentation permanente de l’OIF auprès de l’UE ? Ou, plus largement, de l’OIF?

L’OIF et sa Représentation tentent d’œuvrer pour un meilleur exercice de la démocratie dans les pays francophones, pour une plus juste répartition des ressources ou à défaut l’attribution d’aide au développement à leur bénéfice, pour une croissance respectueuse de leur environnement et de leurs populations, pour une plus grande égalité entre les genres, pour une diffusion plus large des créations artistiques francophones, pour un meilleur accès à l’éducation et l’information numérique et pour un usage accru du français en particulier dans les échanges internationaux.

Quelle est la place de la formation professionnelle (en affaires européennes ou autres) parmi les activités que vous menez ?

L’OIF est souvent sollicitée par ses États ou par leurs représentations ou missions pour élaborer des formations au français des relations européennes, ou des formations en français sur divers sujets communautaires, ou encore des formations aux concours EPSO. Plus de 8 000 experts en négociations européennes, en poste à Bruxelles ou dans les ministères dans les capitales, sont formés annuellement au français et de nombreux séminaires portant sur la matière communautaire sont organisés chaque année. L’OIF met également en œuvre des formations dans bien d’autres domaines qui relèvent des préoccupations citées plus haut.

Quelles évolutions avez-vous pu observer ces dernières années au sein de l’OIF ?

L’OIF s’élargit Sommet des Chefs d’Etat après Sommet des Chef d’Etat (tous les deux ans). Partie de 21 États en 1970, elle n’a cessé d’accroître le nombre de ses États et gouvernements membres. Elle compte aujourd'hui quelque 77 États et gouvernements, dont 27 européens et 16 membres de l'UE.

Ses États et gouvernements se répartissent sur les cinq continents. Après une forte dynamique européenne depuis les années 90 (quelque 20 pays en 20 ans), elle assiste depuis quelque temps à la venue d’États asiatiques (Thaïlande), du Golfe (EAU et Qatar), d’Amérique latine (Uruguay), qui viennent s’ajouter à ceux de des Caraïbes, de l’Amérique du Nord, de l’Afrique, du Maghreb, du Moyen-Orient, de l’Asie du Sud et du Pacifique, augmentant ainsi sa diversité et sa richesse d’expérience et de points de vue.

Vous avez assisté, le 17 octobre dernier, à la Cérémonie d’ouverture de la soixante-troisième année académique du Collège d’Europe (campus de Bruges). Cet événement a-t-il contribué à vous faire connaître « l’esprit du Collège » ?

L’OIF collabore depuis longtemps, maintenant, avec le Collège et ce en ses deux campus, notamment en renforçant la francophonie de ses étudiants, mais aussi de ses ressources documentaires et en faisant appel à son expertise communautaire pour projeter les séminaires de formation auxquels il a été fait référence plus haut aux quatre coins de l’Europe. Elle connaît donc bien l’esprit du Collège, mais plus encore sa contribution éminente à la formation à cet esprit, qui est sans nul doute, celui des fondateurs de la Communauté européenne. En ce sens, elle sait que le Collège contribue, à sa manière, à la Construction européenne et ce à une époque de troubles et de défis où chaque énergie constitue un apport non négligeable. La cérémonie a parfaitement illustré et cet esprit et cette contribution.

La communauté d’étudiants au Collège d’Europe s’élargit (plus de cinquante pays sont désormais représentés), et le Collège d’Europe contribue dès lors, à son niveau, à encourager la pratique de la langue française. Avec le recul et l’expérience dont vous disposez, quelles seraient vos recommandations pour stimuler la pratique du français, non seulement au sein des institutions européennes, mais plus largement des organisations internationales ?

Le défi est surtout du côté des francophones et de leurs institutions, opérateurs et acteurs : il s'agit d’être à l’origine d’initiatives, d’idées novatrices, de concertations pertinentes, de coalitions de positions, afin d’intéresser les non-francophones et de leur donner envie de maîtriser le français, afin de faire prendre conscience à chacun que la Francophonie peut être une force et peser dans les grands débats. Une langue est d’autant plus apprise qu’elle donne accès à des contenus pertinents, offre des opportunités de savoir et de devenir, sert à défendre efficacement des intérêts et à porter des valeurs. À charge pour le français de continuer à séduire par la pertinence et l'impertinence de ses contenus et de ses locuteurs.

Cette année le Service de Développement a mis en place un total de trois formations dans le cadre de la coopération avec l’OIF dans des pays qui ne sont pas nécessairement considérés comme étant de tradition francophone : Croatie, Estonie et Serbie. Comment expliquez-vous l’intérêt de ces pays pour la langue française ?

Ces pays se situent à des niveau différents de l'intégration européenne. Mais, tous sont mobilisés depuis des années par le fait communautaire. La formation de leurs experts (négociateurs, rédacteurs, décideurs) aux affaires européennes a été et demeure leur première priorité, sans parler de celle de leurs jeunes professionnels et de leurs étudiants. Ces pays sont très conscients de l’importance de maîtriser la langue française dans les cercles européens et dans des capitales (Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg), exclusivement ou majoritairement francophones. Tous disposent d’une étroite et très étoffée coopération avec l’OIF, sur bien des plans et avec bien des partenaires, en relation avec la diplomatie, la fonction publique et la langue française (cours de langue à Bruxelles, à Zagreb, à Tallinn, à Belgrade ; séminaires en français ; séjours linguistiques pour de hauts fonctionnaires à Avignon ou à Spa), le tout sur la base d’accords signés par les ministres des Affaires étrangères et les Directeurs d’Académie diplomatique.

Quelles possibilités de coopération imaginez-vous dans le futur avec le Service de Développement ?

Le Bureau de l’OIF auprès de l’UE juge que le Service de Développement est assurément l’un des meilleurs partenaires pour porter l’expertise francophone sur les questions européennes et donc mettre en valeur la langue française auprès du public des fonctionnaires en charge de leur suivi. Il ne s’interdit pas, dans l’avenir, et au-delà des séminaires déjà organisés annuellement, l’organisation d’événements d’ampleur et de premier plan sur de grandes préoccupations communautaires.

Que pourrions-nous vous souhaitez pour 2013 ?

Une Union européenne plus respectueuse, dans les faits, du multilinguisme et un usage plus répandu du français par les représentants des États francophones membres de l’UE.

Un volontarisme francophone accru des locuteurs francophones dans leurs prises de parole.

Des coalitions politiques francophones plus fréquentes au Parlement et Conseil.

Une collaboration encore plus étroite et fructueuse avec le Collège d’Europe.

Cet entretien avec S.E.M. Pietro Sicuro a été réalisé par Juliette Coin, Chef de projet au Service de Développement du Collège d’Europe, avec le concours de M. Stéphane Lopez, Adjoint du Représentant permanent de l’OIF auprès de l’UE.


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